Deux scènes. Deux femmes.
L’une joue. L’autre vacille.
L’une manie l’ironie comme un scalpel, l’autre s’effondre face à une absence.
Ces textes sont nés d’exercices, mais ils tracent déjà des lignes de faille que j’aime explorer : les tensions feutrées, les silences qui débordent, les émotions à peine contenues, puis la déflagration.
Jouons.
La porte grinça. Une plainte piquante. Si même la porte se mettait à râler contre la chaleur. Un courant d’air passa jouant avec des mèches de cheveux et dansant le long de mes jambes. La fenêtre était grande ouverte. Je fermai les yeux. Un soupir. Une pause bienvenue dans cet été étouffant.
Matthieu surgit devant moi, main tendue, regard ahuri. Est-ce que je tombai à un si mauvais moment ?
Je regardai sa main. Esquissai un sourire. Il était trop sérieux. Tu veux jouer ? Vraiment. Je lui jetai un regard en biais. D’accord. Jouons. Nous verrons bien.
Je lui rendis sa poignée de main. Molle. Aucune aspérité. Rien. Aussi lisse que le personnage.
— Bonjour, Claire, comment allez-vous ?
Il mit ses mains dans ses poches et les ressortit aussitôt.
Je ne comprenais pas entièrement ce que ma sœur, Amélie, lui trouvait. Qu’est-ce qu’il y avait sous ces couches de banalité stéréotypée ?
— Très bien, et toi ?
Il baissa les yeux. Ses doigts se vengeaient sur un pauvre stylo, le triturant, le grattant, le griffant.
Je me mordis la lèvre, retenant un petit rire.
À peine poussé et il perdait déjà pied.
Mon regard glissa sur lui pour tomber sur la pièce. J’aurais pu parier qu’une tornade avait mis le lieu sans dessus-dessous. Les documents et divers papiers s’amoncelaient un peu partout : sur son bureau, les chaises, le sol.
Lui qui était si … si coincé, je ne l’aurais pas imaginé désorganisé. Un élan de fraîcheur dans cette ambiance étriquée.
Il me sourit. Cela le rajeunit. Écailla un peu de ce vernis trop convenu.
— Attendez, je vais faire un peu de place.
Il s’attela à ménager un espace libre sur le bureau. Je l’aidai et libérai la chaise pour m’y asseoir. Inconfortable. Pas autant que la confusion dans laquelle je l’avais laissé patauger avec délectation.
Je lui jetai un regard de biais, volontairement ambigu. Il se racla la gorge. Un peu trop fort et s’assit en face.
Promos. Dès 90€.
Je poussai la porte. Bras chargés. Une valise dans une main. Bouquet dans l’autre. Sac à main sur l’épaule.
— Inès ! Je suis arrivée !
Le silence. Pas un mouvement. Pas ses affaires. Rien.
Sauf un papier posé sur la table.
Je lâchai mes bagages au sol. Un bruit sourd résonna dans la pièce.
Tout semblait intact.
Je m’approchai. Une image me frappa à retardement. Sa voiture. Je ne l’avais pas vue. Un soupir. Le bouquet atterrit sur la table.
Mes doigts effleurèrent le bout de papier plié en deux. Je frémissais. Quelque chose dans l’air ne sonnait pas juste.
Je l’ouvris et lut : « Je suis désolée. »
Pas de signature. Pas de date.
Son écriture. Sa main.
Je humai le morceau de papier. Son odeur.
Je clignai des yeux. Le relus plusieurs fois, sans comprendre. Jusqu’à ce que les mots dansent.
Je levai le regard pour la première fois.
Le soleil disparaissait à l’horizon. Mes jambes tremblèrent. Je me rattrapai à la table. Me laissai tomber sur une chaise.
Inès allait arriver. Elle allait venir. Plusieurs respirations. Trop rapide. Je me levai. Chancelante.
« Je suis désolée. »
Les mots résonnèrent dans mon esprit. Ils y étaient imprimés. Gravés à jamais. Mais toujours insaisissables. Désolée de quoi ? Désolée du retard ? Désolée d’avoir eu un empêchement de dernière minute ?
Elle m’avait laissé autre chose. Forcément. Je balayai du regard la pièce. Ouvris les placards un à un. Rien.
Je me ruai dans la chambre. Notre chambre. Rien.
Je m’assis sur le bord du lit. Mes mains glissèrent le long de mes cheveux. Un flash. La main d’Inès passant dans mes cheveux. Je tremblai. Prête à vomir. Prête à hurler. Mes doigts se plantèrent dans le cuir chevelu, serrant mon crâne. Mes ongles griffèrent la peau. Je recommençai plus fort. La douleur, trop faible, pas assez tranchante.
Mon téléphone vibra contre ma cuisse. J’appuyai mes paumes contre mes yeux. Les enfonçant dans leur orbites. Empêcher les larmes de couler.
Je pris mon téléphone dans mes mains. Comme si je faisais une prière.
Je voulais qu’elle me déteste. Je voulais qu’elle m’aime.
Un simple malentendu. Un contretemps. N’importe quoi. Mais pas ce qui m’empêchait de respirer. Pas ce qui grattait sous ma peau.
J’ouvris le message.
« Promos ! Dès 90 € d’achat … »
Le hurlement jaillit de mes poumons. Le téléphone se fracassa contre le mur. Putain de pub ! Un rire remonta le long de ma gorge. Incontrôlable. Trop aigu. Dissonant. Pas ma voix.
J’étais stupide. Vraiment stupide.
Mon estomac se rebella. Un relent acide. Je me dégoutai moi-même.
Je hurlai un coup. Insuffisant. Plus longtemps, jusqu’à ce que ça brûle en arrière de la gorge. Un vide dans la poitrine.
Haletante, je me ruai dans la cuisine. Il y avait mes affaires … et le bouquet. Posé sagement sur la table. Innocent. J’en eus la nausée.
J’empoignai les tiges. Et dépiautai les fleurs une à une. Méthodiquement. Frénétiquement. Les pétales tombèrent en pluie.
Je voulais la détester. Je voulais l’aimer.
Aïe ! Une épine. Mes larmes vinrent se mêler au sang chaud. Bouillant. Mes doigts serrèrent plus fort. Les tiges se brisèrent. Craquant dans ma main. De multiples épines vinrent se planter dans ma peau. Je joignis l’autre main. Écrasai les tiges.
Les fleurs se tordaient dans mes paumes. Comme moi.
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Si ce texte t’a fait vibrer, découvre La Grange.
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