Juste là

Tu rentres dans une pièce où quelqu’un que tu aimes dort encore. Tu sais que tu ne devrais pas être là. Tu n’as pas le droit d’entrer. Mais tu l’as fait quand même.
C’est silencieux. Trop silencieux.
Tu poses la main sur le rebord du lit. Tu ne dis rien. Tu veux dire quelque chose. Mais tu ne peux pas. Les mots se coincent, là, dans ta gorge, comme s’ils étaient faits de tessons. Chaque syllabe te déchirerait.
Tu effleures les draps. Rugueux. Froissés. Un soupir. Un grognement. Tu tétanises. Ton cœur martèle tes côtes. Un battement sourd, rien que pour toi, cognant contre le silence.
La silhouette dans le lit se retourne. Puis, à nouveau, le silence. Tu voudrais respirer à pleins poumons, mais tu ne veux pas faire de bruit. Tu n’as pas le droit d’être là. N’est-ce pas ?
Tes doigts courent le long du drap et s’arrêtent, juste avant sa chair. Tu ne la vois pas. Mais tu sais qu’elle est juste là. Tu crois sentir le grain de sa peau. Sa chaleur. Tellement proche. Et pourtant inatteignable.
Tu voudrais hurler. Tu ne peux pas. Tes genoux heurtent le sol. Tu appuies ta tête contre le matelas. Moelleux. Accueillant. Oui, comme un piège. Tu te mordilles la lèvre.
Les mots devraient sortir. Tout seuls. Dans un flot brûlant, incontrôlable. Du moins, c’est comme ça que tu l’avais imaginé. Mais tes lèvres sont scellées. Ton corps pèse. Il t’échappe. Tu ne te reconnais plus.
Une larme coule le long de ta joue. Tu n’aurais pas dû. Quoi, au juste ? Venir ici ? Rester ? Regretter ? Où commencent tes erreurs ? Où finissent-elles ? Se sont-elles seulement arrêtées un jour ?
Tu connais les réponses. Mais elles refusent de se laisser penser. Ton esprit fossilisé. Tu es gangréné par la honte, la peur, ou autre chose encore. D’autres larmes coulent. Tu les sens. Salées. Tu commences à faire du bruit.
La silhouette dans le lit. La personne que tu aimes, soupire, grogne et s’agite. Le corps s’immobilise à nouveau. Une mèche de cheveux effleure tes doigts. Tu enroules une mèche autour de ton index.
Sa tête est là. Tout près. Son cou. Ce creux précieux où se niche son parfum. Une douceur sucrée. Presque ronde. Du miel. Ou un fruit mûr. Tu respires. Tu t’accroches. Son souffle effleure ta joue. Ses lèvres.
Tu brûles.
Tu tends la main, sans la tendre. Tu veux reculer, sans reculer. C’est ton corps qui avance, ce traître. Ou peut-être ton cœur. Tu refuses de savoir.
Tu devrais t’éloigner. Quitter cette chambre. Ne plus jamais revenir. Mais tu ne peux pas.
Tu t’es enchaîné à cet instant. Et tu sais que tu ne partiras pas.
À quoi bon ?
Tu pleures encore. Les larmes s’écrasent. Sur les draps. Sur sa peau. Un frémissement.
Des paupières s’ouvrent. Clignent.
Des yeux. Ils te regardent. Et dans ce regard : tout.
Tout ce que tu as refusé. Tout ce que tu as voulu. Peut-être.

Dans une veine plus intime, tu pourrais aimer lire La Grange.
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