Crissement de pneus sur les graviers. La cour surgit dans la lumière des phares. Je me raidis. Le silence d’Antoine. Le vieux corps de ferme. Tout pesait déjà.
Il gara la voiture. Malmenée par les bourrasques. Pas un mot. Il tapota le volant du bout des doigts.
Un étau dans la gorge. Dans le ventre. Il ne parlait pas de sa famille. Mais ça. Ce silence collé à sa peau. Si j’avais su… Je ne sais pas si je serais venue.
— Allons dire bonjour à tout le monde. Ils doivent tous être déjà là. Je viderai la voiture après.
Je posai une main sur sa jambe. Mes doigts s’enfoncèrent.
— Rassure-moi, ça ira, n’est-ce pas ?
Son regard planté dans le mien. Il hocha la tête. Qui essayait-il de convaincre ?
Nous sortîmes du véhicule. Le choc sourd des portières. Aussitôt emporté par le vent. Sifflant. Cinglant.
Je serrai mon manteau. Les rafales s’insinuèrent malgré tout. Glaçantes. Mes dents s’entrechoquèrent.
Antoine passa un bras autour de ma taille. Je me blottis, cherchant la chaleur.
Son père était là. Droit sur le pas de la porte. Il ne bougeait pas.
Je sentis Antoine se raidir. Le nœud dans mon ventre se serra.
Son père me tendit la main. Une poigne ferme. Calleuse.
Il regarda son fils. Fit une pause. Je vis Antoine serrer la mâchoire. Son père ouvrit les bras. Antoine fit un pas en avant. Une étreinte, brève. Silencieuse. Pas une seconde de plus qu’il ne fallait.
Les bruits de couverts résonnaient dans le silence. À table, ses parents, oncles et tantes. Visages burinés. Fermés. Des coups d’œil furtifs échangés entre eux.
Au-dehors le vent hurlait. Secouait les fenêtres.
Dans mon assiette. De la viande. Ferme. Je mastiquai. Déglutis. Évita de grimacer.
Mes doigts tremblotants trouvèrent le verre. Je bus une gorgée de vin. Acide. Aigre. Mon estomac protesta aussitôt.
Le banc vibra en rythme. Antoine avait repris ses tapotements. Sa main se posa sur ma cuisse. Je le regardai. Sa bouche souriait. Pas ses yeux.
Encore deux jours. J’avais déjà envie de partir.
Sa mère brisa le silence.
— Antoine nous a dit que vous étiez infirmière Élodie. C’est un beau métier. Difficile sans aucun doute.
Pas autant que ce repas.
— Je travaille en neurologie dans une clinique. C’est plus calme qu’à l’hôpital, mais oui certains jours sont plus difficiles que d’autres.
Elle hocha la tête. Puis baissa les yeux. Le silence s’épaissit, chargé de tout ce qui ne se disait pas.
Une fois le dîner fini, Antoine brava le froid pour aller chercher nos affaires. Je l’enviais. Presque. Rester ici était pesant.
Je pris des assiettes et quelques couverts pour aider à débarrasser. Sa mère les récupéra et me dit :
— Non, non vous êtes invitée ici. Restez tranquille.
Invitée ? Tranquille ? Une note d’humour, peut-être.
Je ne savais ni où me mettre ni quoi faire.
Mon regard chercha quelque chose sur lequel s’accrocher. Des cadres posés là. Antoine, enfant. Avec ses parents, ses oncles et tantes. Jamais je ne l’avais vu si jeune. Un sourire me surprit.
La voix grave de son père claqua dans mon dos. Je sursautais.
— Cette photo a été prise l’été de ses huit ans. Il passait des heures dehors, toujours en train de grimper aux arbres.
Ça ne m’étonnait pas de lui.
Il me tendit un petit verre.
— De la poire maison, pour digérer.
Tout sauf ce goût de viande froide et de tension.
Je bus. Le feu coula. Gorge. Ventre. Ma main se crispa. Ma mâchoire aussi. Une larme. Incontrôlable. Je reposai le verre, sans un mot et demandai :
— Antoine parle peu de son enfance… Avait-il beaucoup d’amis ? Il devait se sentir seul dans une si grande maison.
Le père se racla la gorge. Un bruit rauque.
Des bruits de vaisselles. Cling. Cling. Les assiettes et les couverts entrechoqués.
Un des oncles repoussa sa chaise. Un raclement. Sinistre. Il se leva.
— Bonne nuit.
Un ton abrupt. Il partit.
Le père reporta son attention sur moi et poursuivit.
— Antoine était du genre solitaire. Alors ça ne l’a pas vraiment dérangé. Bien au contraire.
Je me raidis. Antoine avait plein d’amis. Il parlait facilement. D’habitude. Mais ici tout tournait de travers. Mon ventre se tordit. Protesta. Ma bouche pâteuse.
La porte claqua. Un vent glacial refroidit la pièce. Encore plus. Antoine rentra. Valises et sacs dans les bras.
Sa mère frappa dans ses mains. Un bruit sec.
— Ah ! Mais, vous devez être fatigué ! Votre chambre est prête là-haut.
Antoine posa les affaires. Ouvrit la bouche. Rien. Un regard vers son oncle. Il referma les lèvres. Ramassa nos affaires. La suite était déjà décidée.
Un lit perdu au milieu d’une immense chambre. Une armoire poussée contre le mur. Une odeur de renfermé. Le claquement des volets fermés, malmenés par le vent.
Une salle de bain attenante. Lumière blafarde. Un lavabo à l’émail fendu tirant sur le jaune. Un bidet. Vieux. Comme le reste. Un filet d’eau. Un gargouillement sourd dans les canalisations. Je frissonnai. Grelottai. Une rapide toilette au gant ferait l’affaire.
Nous nous glissâmes sous les draps. Froids. Rêches. Le matelas mou.
— J’ai vu des photos de toi. Ton père m’a parlé de toi.
Un haussement de sourcil. Un sourire sans joie.
— Qu’est-ce qu’il t’a raconté ?
— Que tu grimpais aux arbres… et que tu étais timide. Toi. Timide ?
Il rentra la tête dans les épaules. Se voûta.
— J’ai changé. C’est tout.
Un battement de trop dans la poitrine. Ses yeux ne me disaient pas la même chose.
Je glissai ma main dans la sienne. Ses doigts se refermèrent sur les miens.
— Je suis désolé… On doit te paraître bizarre…
Un euphémisme.
— Un peu. Mais c’est supportable. Pour l’instant.
Il sourit. Le premier qui ne sonnait pas faux.
J’inspirai. L’entourai de mes bras et reposa ma tête sur son épaule. Il frissonna. Je déposai un baiser et enfonçai la tête dans l’oreiller. Une odeur de moisi.
Des voix étouffées s’élevaient depuis la salle à manger. Rapides. Fébriles. Puis la respiration lourde d’Antoine. Assoupi.
Le tic-tac de l’horloge dans le couloir. Il emplissait tout l’espace.
Je voulais dormir. Mon corps refusait. Ma tête aussi.
J’émergeai d’un demi-sommeil. Jetai un œil à mon téléphone. 5 h 00. Antoine remua. Grogna. Sombra à nouveau.
Chanceux. Il pouvait dormir n’importe où. Pas moi. Pas ici.
Le silence total. Personne n’était encore réveillé.
J’allais perdre la tête si je ne sortais pas de ce lit.
Je quittai les draps, chargés de notre chaleur corporelle. L’air humide me prit aux poumons. Mes doigts de pied gelèrent au contact du sol glacé. Je grelottai. M’emmitouflai dans un plaid. Et utilisa la lampe torche de mon téléphone. Je devais avoir l’air ridicule. Tant pis.
Mes pas me menèrent dans le couloir.
Mes yeux me piquaient. Mes muscles engourdis. Une nuit trop courte. Le couloir se tordit sous mon regard. Un frisson le long de mon échine. Quelques pas vers les escaliers. Un vertige. Je tendis la main. Me rattrapai à une poignée.
Un grincement. La porte s’ouvrit. Je clignai des yeux. Le vertige avait disparu. Je me penchai. Jetai un coup d’œil à l’intérieur.
Un manteau de poussière recouvrait tout. Chaque meuble. Chaque objet.
Je tendis la main vers l’interrupteur. Clic. Rien. L’ampoule resta muette.
Je m’en tiendrai à mon téléphone.
Un pas. Un épais nuage de poussière s’éleva. Les lattes de parquet grincèrent. Je grimaçai. Réprimai une toux.
Mes pas plus légers. Je tâtonnai à la recherche des zones les plus silencieuses.
Dans la lueur de la torche. Un diorama. Des rails serpentant entre des collines miniatures. Une petite gare. Des maisons en carton. Des arbres peints à la main. Au centre, un petit train figé sur sa voie. Interrompu en pleine course.
Plus loin, des peluches s’entassaient dans un coin, à côté d’un vieux flipper hors d’usage et de caisses remplies de jouets.
Le faisceau glissa le long du mur et s’arrêta sur une série d’encoches sculptées dans le bois. Je m’accroupis pour mieux voir. Des marques gravées à différentes hauteurs. À côté des dates et des lettres : A, L, B… A pour Antoine. Mais à qui correspondaient les autres ? D’anciennes générations ? Non. Les dates ne correspondaient pas.
Pas si solitaire que ça, hein ?
D’après les dates les mesures d’Antoine s’arrêtaient à ses cinq.
Un craquement dans mon dos. Je me figeai. Lâchai le plaid. Il chuta à mes pieds. Une voix grave résonna :
— Déjà réveillée ?
Le père se tenait là, au milieu de la pièce. Comment avait-il avancé sans que je l’entende ? Une sensation glaciale le long de ma nuque. Je frissonnai.
— Si on m’avait dit qu’Antoine ramènerait une lève-tôt !
Ses lèvres s’étirèrent en un sourire. Ses yeux, eux, ne riaient pas. Pas du tout. Je déglutis.
— Quelle est cette pièce ?
— Une salle de jeux. Ça ne se voit pas ?
— Si, mais personne n’a l’air d’y être venu depuis longtemps.
Il avança. Démarche lente. Le parquet émit un grincement plaintif sous son poids.
— Antoine est trop grand pour venir jouer.
Son rictus se figea. Il tendit la main dans ma direction, mais son regard ne bougea pas d’un millimètre.
Je reculai. Me cognai contre une caisse de jouets. Failli perdre l’équilibre. Me rattrapa.
Des pas précipités arrivèrent du couloir. Antoine surgit. S’arrêta net. Força un sourire et me fit signe de le rejoindre :
— Oh ! Tu es déjà debout Elodie… Tu aurais dû me réveiller.
Je me faufilai jusqu’à lui, passant devant son père. Figé. Comme ancré dans le sol.
— Je disais justement à Élodie que cette salle de jeux n’est plus utilisée, depuis qu’il n’y a plus d’enfants ici.
Il ne s’était pas retourné. N’avait pas fait le moindre mouvement.
Antoine ne répondit rien. Me prit par la main et me ramena dans notre chambre.
— Que faisais-tu toute seule ? Tu m’as fait peur !
— Tu ronflais. J’allais pas attendre les bras croisés… C’est une prison ou quoi ?
Il soupira. Croisa les bras. S’assit sur le lit.
— C’était quoi, toutes ces marques dans le bois ?
Il me dévisagea. Haussa un sourcil.
— Quoi ?
— Les lettres, les dates, les mesures.
Il baissa les yeux. Se prit la tête dans les mains.
— Rien. Juste mes cousins et cousines.
Un frottement. Là, à l’intérieur.
— Je croyais que t’avais grandi tout seul ici.
— Écoute, je n’aime pas parler de ma famille.
Un soupir. Je secouai la tête. Un rire sans joie.
— Ça, je l’avais remarqué !
Il se passa une main lasse sur le visage. Les traits tirés.
— C’était une erreur de t’emmener ici. J’aurais dû savoir que ça allait mal se finir.
— J’essaie seulement de comprendre, Antoine. Parle !
Ça me changerait de tous ces satanés silences.
Il ferma les yeux. Expira. Ses épaules retombèrent.
— Je sais pas… Je suis juste…
Sa voix s’étrangla.
Je posai ma main sur sa nuque. La glissai le long de son dos.
Le nœud dans mon ventre se serra. Antoine était autant à bout que moi. Le pousser ne servirait à rien. Pas pour le moment.
— Allez, viens. On va se changer et descendre prendre le petit déjeuner.
Avec un peu de chance, ce sera moins indigeste que la veille.
Des coups d’œil. Des raclements de gorge. Des haussements de sourcils. Un langage codé propre à cette famille.
Un bruit de couteau raclant une assiette. Le grincement d’une chaise. Rien d’anormal. Mais tout sonnait faux.
Après un petit déjeuner simple, je me levai. Écartai les lourds rideaux et découvris une prairie balayée par les bourrasques. Une grange indépendante se dressait de l’autre côté. Isolée. Je préférais le froid à cette ambiance.
J’attrapai mon manteau. Dis à Antoine que je sortais et quittai la maison. Le sifflement strident du vent. Un soulagement. J’enfonçai mon visage dans mon manteau et marchai en direction de la grange.
Le bâtiment était plus récent que le corps de ferme. Certains murs, en pierre rugueuse et noircie, semblaient d’époque. Le bois clair ajouté récemment tranchait avec l’ensemble.
J’étais glacée jusqu’aux os. Mes doigts tremblaient quand je poussai la porte de la grange. Un abri temporaire. Loin d’eux. Loin de tout. Un silence brut, sans regard pour l’abîmer.
La lumière filtrait à travers les fentes irrégulières des murs en bois. Découpant des lignes obliques sur le sol poussiéreux. Projetant des ombres mouvantes sur les cloisons.
Mes chaussures crissèrent. Je baissai le regard. Entre la paille éparse, des traces sombres incrustées dans la pierre. Des brûlures. Je m’accroupis. Effleurai du bout des doigts l’une des taches noirâtres. Une surface lisse, polie par le temps.
Je me redressai. Un vertige me saisit. Un courant d’air froid. Je tressaillis. Un craquement.
— Qu’est-ce que tu fais là ?
Je volte-face aussitôt. Un oncle d’Antoine. Il se tenait dans l’encadrement de la porte. Bras croisés. Visage fermé. Étaient-ils capables d’exprimer autre chose dans cette famille ?
— Tu ne devrais pas rester ici. La charpente est fragile. C’est dangereux.
Un ton sec. Aussi glaçant que les bourrasques dehors.
Je fronçai les sourcils. Cette grange tenait debout sans problème.
— Cet endroit a brûlé.
Sa mâchoire se serra. Il contracta les poings. Regard braqué sur moi.
— Viens. Antoine t’attend à l’intérieur.
Ce n’était pas une invitation. C’était un ordre déguisé.
La porte de la maison claqua. Le vent siffla.
L’oncle se planta devant Antoine.
— Elle était dans la grange. Vous devriez partir.
La mâchoire d’Antoine se contracta. Il serra les poings. Ne bougea pas. Son regard me frôla avant de revenir sur son oncle. Froid. Tendu.
— Nous n’allons pas prendre la route. Pas maintenant.
Mon sang se figea. Une pression dans la gorge. L’impression qu’un fil m’étranglait de l’intérieur. J’avais froid, mais pas à cause du vent.
L’oncle ne cilla pas.
— Je pense que si. Ce serait mieux pour tout le monde.
Le mot « tout » appuyé.
— Antoine est chez lui, s’il veut rester, il reste, trancha son père.
Je n’avais qu’une seule envie : partir. Mais un autre oncle réagit.
— Tu oses dire ça ? Après ce qu’il a fait !
Une tante s’interposa :
— Ce n’était qu’un gamin !
Et puis, tout bascula.
Les voix fusèrent. Se percutèrent. La colère brisait tout.
Je fis un pas, puis deux en arrière. Les murs rapprochèrent. La pièce se rétrécit autour de moi.
— Assez !
Antoine venait de hurler.
Un frisson me traversa. Je me raidis. Quelque chose se fissurait en lui, et moi je ne savais pas où me tenir.
Un silence glacial s’abattit.
— Si vous ne voulez pas de nous ici, très bien. On s’en va. J’en ai assez de cette famille et de ses secrets !
Sa mère lui toucha le bras du bout des doigts.
— Non, non… tu peux rester.
Une voix suppliante.
— Mais moi, je ne veux pas !
Il tourna les talons. Foudroya chacun du regard. Et monta à l’étage. Un bruit, en haut. Une valise qui cogne. Puis des pas. Lourds.
Je fixai la nappe. Les visages figés. Leurs ombres, des spectres étirés sur une toile.
Je n’étais pas près d’oublier cette rencontre. Une belle anecdote de dîner, tiens. Si seulement ce n’était qu’une histoire.
Il descendit avec fracas, les valises en main. Me fit signe de le suivre. S’arrêta devant la porte. Quelques secondes suspendues. Il lâcha :
— Je regrette cette nuit tout autant que vous. Ils me manquent tous. Revoir cette maison. Vide. Sans eux…
Il pivota. Sa gorge se serra. Puis, dans un souffle brisé :
— Parfois… j’aurais voulu… rester. Avec eux.
Sa voix se brisa. Il cligna des yeux. Plusieurs fois. Des gouttes perlèrent sur ses cils.
Un étau m’écrasa la poitrine. J’aurais tout donné pour bouger, parler, consoler. Mais le silence était plus fort que moi.
— … Au moins, vous ne m’en voudriez pas. Et je n’entendrais plus leurs cris…
Il inspira, se prit la tête entre les mains. Puis releva les yeux vers moi — regard brouillé, perdu. Une main fébrile trouva ma taille.
La porte s’ouvrit. Le vent s’y engouffra comme un cri.
Les rafales giflèrent nos visages. Derrière nous, un froissement. Un souffle. Sa mère avait fait un pas. Juste un. Trop tard.
Il balança nos affaires dans le coffre. S’engouffra dans la voiture. Les portières claquèrent. Sèches.
Le vent rageait. Secouait la voiture. Antoine posa les mains sur le volant.
Et s’il fonçait dans un arbre ? S’il décidait que ça suffisait ? Je ne savais même pas si j’avais bouclé ma ceinture.
Je le regardai du coin de l’œil. Ses épaules tremblaient.
Il tendit la main vers le frein à main. Je déposai la mienne sur la sienne.
— Tu vas me haïr, toi aussi…
— Non. Mais je ne peux pas continuer comme ça. Pas sans comprendre.
Il ouvrit la bouche. Se ravisa. Referma les lèvres.
Le silence s’installa. Dense. Chargé.
Un oiseau frôla le pare-brise. Un battement d’ailes.
— Dis-moi.
Un silence. Son regard perdu dans le vague.
— La grange. Elle a brûlé. Il y a longtemps.
Je ne dis rien, le laissant poursuivre à son rythme.
— C’était l’été…
Sa voix trembla, s’effilocha. Il se mordit la lèvre.
— J’avais cinq ans.
— Mes cousins… Lucile, Benoît… Ils voulaient jouer dans la grange. La nuit. Pour qu’on soit tranquilles. On s’est faufilés dehors. Mon père et mon oncle ont fermé la porte à clé, comme tous les soirs. On les a entendus.
Sa respiration s’accéléra. Saccadée.
— Puis Benoît… a voulu jouer avec des allumettes.
Il serra ma main, fort, mais sans me faire mal.
— … Le feu s’est propagé en un instant. La fumée… elle était partout. On a essayé d’ouvrir, mais la porte ne bougeait pas. Elle était massive, verrouillée. Benoît s’acharnait dessus, il la frappait, encore et encore…
Il déglutit, sa voix vacilla.
— … Après… c’est flou. J’ai rampé vers un trou, un minuscule passage dans le mur. Je ne sais même pas comment j’ai réussi à passer.
— … Je suis resté là. Planté devant les flammes. Et leurs cris… Ils brûlent encore dans ma tête.
Il n’avait que cinq ans.
Et le silence, lui, n’avait jamais cessé.
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